La crise du COVID-19 a mis à rude épreuve les entreprises depuis mars 2020. Confinement, travail à distance, … les entreprises ont dû se réorganiser pour faire face à cette crise inédite.
Le confinement a notamment permis d’expérimenter à grande échelle le télétravail dans les entreprises et administrations. Quel est le retour des salariés sur cette expérience forcée de télétravail ?
FOCUS
D’après l’INSEE, en France, en 2017, seulement 3% des salariés pratiquaient le télétravail plus d’une fois par semaine [1]. Depuis le déconfinement, de nombreuses entreprises ont maintenu le télétravail pour une partie de leurs salariés. D’autres entreprises s’organisent pour mettre en place un dispositif de télétravail régulier et choisi pour les salariés volontaires. Le nombre de télétravailleurs devrait donc fortement progresser dans les prochains mois.
L’objectif de cette note est de faire un état des lieux des pratiques et perceptions du télétravail pendant la période de confinement, du point de vue des salariés. Les résultats présentés sont issus d’une enquête Marsouin, réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population bretonne (+ de 18 ans), interrogé par téléphone durant le confinement (voir l’encadré méthodologique en annexe).
Qui sont les télétravailleurs bretons pendant la période de confinement ?
Les résultats de l’enquête Marsouin indiquent que 14% de personnes en emploi pratiquaient le télétravail juste avant le confinement. Pendant le confinement, cette part a plus que doublé, avec 32% des individus exerçant leur emploi en télétravail [2]. Il s’agissait principalement de télétravail à temps plein (83%). Pour les 17% restant, le télétravail était combiné à du chômage partiel ou des gardes d’enfants.
Les télétravailleurs confinés sont majoritairement des femmes (58%). Les cadres et professions intellectuelles supérieures sont surreprésentés (36 % des télétravailleurs) tout comme les professions intermédiaires (44 % des télétravailleurs), alors que les ouvriers et employés ne constituent que 15,5% des télétravailleurs. Ces derniers occupent des tâches qui ne se prêtent pas bien au télétravail. Ainsi, sur l’ensemble des ouvriers, seuls 3% déclarent avoir télétravaillé, alors que 71% des cadres ont travaillé à domicile pendant le confinement. Ces différences entre catégories socioprofessionnelles étaient déjà observées avant le confinement (Schampheleire et Martinez, 2006).
Seulement 23% de télétravailleurs confinés avaient déjà une expérience régulière de télétravail avant le confinement (au moins une fois par semaine). Pour trois-quarts des télétravailleurs confinés, il s’agissait donc d’une première expérience non préparée et brutale. A noter enfin que 40 % des télétravailleurs confinés avaient des enfants jeunes (moins de 14 ans) dont la présence permanente à la maison n’a pas toujours facilité le télétravail des adultes. A travers ces chiffres, on comprend que le télétravail confiné n’a pas été une expérience de télétravail normal pour de nombreux salariés, entre l’école à la maison et le partage des équipements et des connexions entre les membres de la famille.
Quels outils de télétravail ?
Les télétravailleurs confinés déclarent pour 30% d’entre eux avoir un accès à très haut débit, les 70% restant ayant une connexion haut débit type ADSL.
Les télétravailleurs ont aussi été interrogés sur les outils utilisés pendant le confinement. La visioconférence a été très largement utilisée durant le confinement avec pour rôle de maintenir le lien social et de faciliter le travail en équipe (Boboc A., 2020). 65% des télétravailleurs ont participé à des visioconférences durant le confinement. Toutefois, pour la majorité d’entre eux, il s’agissait d’un usage ponctuel, seuls 16% déclarant faire de la visioconférence tous les jours.
Les outils de travail collaboratifs (tel que google drive, agenda partagés, espaces de sauvegarde partagés etc.) ont aussi été très utilisés dans le confinement, en complément le plus souvent de la visioconférence et des réseaux internes d’entreprise. 35% des télétravailleurs déclaraient s’en servir tous les jours.
Toutefois, cet usage est assez clivant puisque 40,5% des télétravailleurs n’ont pas eu recours à ce type d’outil (soit parce que l’entreprise ne dispose pas de ces outils, soit qu’ils n’ont pas été formés pour s’en servir).
Enfin, le courriel reste l’outil incontournable pour le télétravail. 83% des télétravailleurs confinés s’en servaient plusieurs fois par jour, et même 44% se déclaraient connectés en permanence à leur messagerie. Le courriel remplit un rôle de « couteau suisse » (Guesmi S., Raillet A., 2012). Son usage a fortement augmenté durant le confinement et particulièrement dans les deux premières semaines (Boboc A., 2020).
Des télétravailleurs confinés satisfaits ?
45% des télétravailleurs se sont sentis moins efficaces en télétravail par rapport au travail sur site. Seulement 12% se sont déclarés plus efficaces pendant la période de confinement. Ce résultat peut s’expliquer par les multiples difficultés d’ordre technique, organisationnel et économique rencontrées par l’entreprise (ou du moins par l’équipe dans laquelle est rattaché le salarié), mais aussi par l’environnement du télétravailleur (problème de qualité de la connexion et d’équipements, pas de pièce dédiée pour télétravailler, enfants à la maison, …). La crise sanitaire a pu aussi être une cause de stress se répercutant sur le travail.
Il faut toutefois tempérer ce résultat, car finalement 43% des salariés se sont sentis autant efficace en télétravail confiné qu’habituellement. Les perceptions d’efficacité au travail peuvent être différentes selon que le salarié est dans son entreprise ou à son domicile et il n’est pas toujours facile pour un salarié de bien apprécier son efficacité en télétravail (Aguilera et alii., 2016). En plus des risques de burn-out, le télétravailleur confiné peut aussi être sujet à un risque de bore out, c’est-à-dire de démission, de baisse ou de disparition de la motivation (Durieux 2020).
Il est donc important de maintenir la communication avec les télétravailleurs dans des situations où la quantité de travail peut être plus faible que la normale.
La séparation entre vie professionnelle et vie privée n’est pas toujours facile dans un contexte de télétravail, qui plus est, confiné (et pour beaucoup non choisi), et peut avoir une incidence sur le bien-être des télétravailleurs.
43% des télétravailleurs confinés ont déclaré ne pas avoir réussi à bien séparer la sphère privée/familiale et la sphère professionnelle. Mais 57% des télétravailleurs confinés déclarent avoir réussi (plutôt ou tout à fait) à bien séparer la sphère privée/familiale et la sphère professionnelle.
Une expérience de télétravail confiné qui a inégalement convaincue
40% des télétravailleurs confinés souhaitent continuer à faire du télétravail sur une base régulière (plusieurs fois par mois). Ce chiffre est bien supérieur au pourcentage de télétravailleur avant mars 2020. Le confinement a donc permis d’initier et convertir de nombreux salariés à cette forme de travail.
Toutefois, 50% des télétravailleurs confinés déclarent ne pas vouloir continuer à faire du télétravail. Ce rejet du télétravail est plus prononcé chez les femmes : plus de 60% d’entre elles ne souhaitant pas prolonger l’expérience. En comparaison les hommes ne sont que 36% dans cette situation. Il est possible que ces différences tiennent à l’inégale implication pendant le confinement des hommes et des femmes dans les tâches familiales, notamment en présence d’enfants en bas âge [3].
Les réponses sont aussi très différentes selon les catégories socio-professionnelles. 53% des cadres et professions intellectuelles supérieures souhaitent continuer à faire du télétravail régulier (plusieurs fois par mois), contre 33% chez les non cadres.
Pour aller plus loin
Pour comprendre quels les facteurs qui expliquent la satisfaction de l’expérience de télétravail confiné et le souhait de continuer ou non à télétravailler régulièrement, nous avons réalisé des régressions économétriques de type Probit. La variable expliquée est « je souhaite continuer à télétravailler plusieurs fois par mois ou toutes les semaines ». Cette variable est binaire (OUI/NON). Les variables explicatives que nous avons retenu pour la régression sont le sexe, l’âge, la catégorie socio-professionnelle, le lieu de résidence (taille de la commune), la présence de jeunes enfants, la qualité de la connexion Internet et la possession d’équipements informatiques.
Les résultats synthétiques sont donnés dans le tableau ci-dessous, qui précise si la variable a un effet significatif ou non (et son signe en cas d’effet significatif) sur le souhait de continuer à télétravailler.
L’âge et le sexe n’ont pas d’effet sur le souhait de continuer ou non à télétravail. Les digital natives ne sont donc pas plus ou moins adeptes du télétravail que leurs aînés. De même, lorsque l’on prend en compte les caractéristiques socio-économiques et l’environnement de télétravail, il n’y a plus de différence entre homme et femme sur le souhait de continuer à télétravailler. En revanche, le fait d’avoir des enfants jeunes a un impact négatif sur la demande de télétravail. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que de nombreux parents télétravailleurs ont dû aussi s’occuper de leurs enfants (école à la maison) ce qui les a empêchés de bien travailler. De manière plus générale, ceux qui déclarent ne pas avoir été efficaces dans leur travail pendant le confinement, sont moins demandeurs de continuer à télétravailler.
Le lieu de résidence peut être un déterminant du télétravail. Les salariés qui vivent en milieu rural se déclarent plus intéressés par le travail à domicile que ceux qui sont en ville. Pour les premiers, le télétravail peut permettre de réduire les coûts de transport et libérer du temps.
Les derniers déterminants sont liés aux équipements informatiques et connexions à Internet. Plus il y a d’ordinateurs à domicile et plus la demande de télétravail est forte. Les salariés confinés qui étaient bien équipés (ordinateur exclusif) ont eu une meilleure expérience de télétravail que ceux qui ont été contraint de partager leur ordinateur avec d’autres membres de la famille. La qualité des équipements informatiques est donc primordiale pour donner envie aux salariés de télétravailler. En revanche, la qualité d’accès à Internet ne semble pas avoir d’effet sur la demande de télétravail. Que cette qualité soit mesurée par la nature de la connexion Internet (très haut débit versus haut débit) ou par la couverture mobile (4G), elle n’intervient pas de manière significative dans le souhait de travailler à domicile. Probablement, les usages numériques actuels des télétravailleurs sont peu consommateurs de bande passante et ne nécessitent pas des réseaux à très haut débit. Mais la généralisation du télétravail dans les entreprises pourrait changer la donne et constituer un réel frein à l’essor de certains usages professionnels à domicile si les investissements dans les infrastructures ne suivent pas.
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Afin de compléter ces résultats, il serait intéressant de tenir compte du secteur d’activités de l’entreprise ou de sa taille (PME, grande entreprise). Marsouin lancera une enquête fin 2020 auprès des entreprises bretonnes et compte les interroger sur leur pratique de télétravail avant, pendant et après le confinement. Cette enquête côté employeur, apportera une vision complémentaire, indispensable pour bien comprendre les freins et facteurs favorable au développement du télétravail. Elle permettra de savoir si cette expérience de confinement et ce contexte de pandémie n’est pas pour certaines entreprises une opportunité pour repenser leur organisation du travail et amorcer ou accélérer leur transformation numérique.
Bibliographie :
Aguilera, A., Lethiais, V., Rallet, A., Proulhac, L. (2016). Le télétravail, un objet sans désir ?. Revue d’Économie Régionale & Urbaine, février(1), 245-266.
Boboc, A. (2020) La frontière entre vie privée et vie professionnelle à l’épreuve du confinement : télétravail et déconnexion", La Revue des Conditions de Travail, n°10, juillet.
Durieux, E. (2020) Télétravail et confinement, vers une coexistence vivable. Rapport Technique Ministère de l’intérieur. hal-02560409
Guesmi, S., Rallet, A. (2012), « Web 2.0 et outils de coordination décentralisée. Un entrelacement des sphères privées et professionnelles », Revue française de gestion, vol. 5, n° 224, p. 139-151
Schampheleire JD, Martinez E (2006). Régulation du télétravail et dialogue social. Le cas de la Belgique. Revue Interventions économiques Papers in Political Economy 34.
Encadré sur l’enquête CAPUNI Crise
L’enquête CAPUNI Crise a été réalisée pour le compte du Groupement d’Intérêt Scientifique Marsouin. Soutenue par la Région Bretagne et l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, « CAPUNI crise » a permis d’interroger par téléphone un échantillon représentatif de la population bretonne (1 500 individus résidant en Bretagne dont 500 dans les zones rurales isolées). La représentativité est assurée par la méthode des quotas sur les critères d’âge, de genre, de catégorie socioprofessionnelle, de taille d’unité urbaine de résidence et de département.
Une enquête nationale a aussi été mené en parallèle auprès de 1 000 individus selon les mêmes critères de représentativité.
Les usages des très faibles échantillons ont été interprétés à la lumière des enquêtes antérieures ou des travaux qualitatifs des chercheurs de Marsouin.
L’enquête a porté sur les équipements et usages numériques avant et pendant le confinement, ainsi que sur l’école à la maison et le télétravail.
Pour plus d’informations, https://www.marsouin.org/article1214.html
Le Groupement d’Intérêt Scientifique Marsouin a été créé en 2002 à l’initiative du Conseil Régional de Bretagne. Il rassemble les équipes de recherche en sciences humaines et sociales des quatre universités bretonnes et de trois grandes écoles, soit 18 laboratoires, qui travaillent sur les usages et transformations numériques.