En quoi les usages des TIC dans les espaces publics numériques (EPN) de la région Bretagne par
les personnes en situation de « disqualification sociale » (Serge Paugam, 1991) participent à leur
insertion sociale et professionnelle ?
Cette recherche, financée par le conseil régional de Bretagne,
fait l’objet d’une thèse en sciences de l’éducation.
Le dispositif « Cybercommune » lancé en 1998 par le conseil régional a permis l’implantation de
près de 400 espaces publics numériques sur l’ensemble du territoire breton. L’objectif était de
permettre l’accès et la sensibilisation de tous les publics aux technologies de l’information et de la
communication (TIC), afin de lutter en autres contre la « fracture numérique » et réduire ainsi les
inégalités pressenties par l’introduction massive des technologies dans la société. Après deux
enquêtes quantitatives menée par le GIS M@rsouin sur le dispositif en 2003 et 2005, la région a
souhaité porter une attention particulière sur l’efficacité de ces espaces d’accès public à l’Internet
dans l’accueil et l’accompagnement des personnes en situation d’exclusion. Il n’est pas question
d’envisager uniquement les usages des TIC du point de vue de l’accès ou du non accès aux
ressources technologiques, mais d’étudier quelles relations les personnes ciblées entretiennent avec
les structures qui mettent en place des actions autour des TIC.
Les espaces publics numériques sont aujourd’hui à un tournant au niveau de leurs missions. Les
individus sont de plus en plus sollicités sur la toile, s’équipent et maîtrisent de mieux en mieux les
outils, les services en ligne se développent également. Les EPN se dirigent par conséquent
davantage vers des missions d’accompagnement afin de répondre au plus près aux besoins et aux
demandes des publics accueillis. Dans le domaine de l’insertion et du retour à l’emploi, les
technologies de l’information et de la communication se sont largement développées ces dernières
années. Aujourd’hui, l’inscription en tant que demandeur d’emploi s’effectue via le portail de
l’ANPE, plus de 80% des offres d’emploi sont accessibles via l’Internet et les annonces papiers ont
en grande partie disparues. Il existe donc une vraie spécificité « TIC » dans le domaine de l’insertion et du retour à l’emploi. Le non-usage des TIC pourrait handicaper certaines personnes
dans leurs parcours d’insertion, dans un domaine où le lien social avec les conseillers et/ou
travailleurs sociaux, les temps de discussion pour exposer sa situation personnelle disparaissent peu
à peu au profit d’une relation médiatisée par les TIC. Les discours politiques, orientés sur un objectif
de numérisation massive dans le but de fluidifier les démarches entre demandeurs d’emploi et
conseillers ont omis la dimension de l’accompagnement dans l’appropriation des technologies.
Même si dans certaines ANPE quelques professionnels proposent des séances d’initiation, les
activités d’aide à l’insertion professionnelle centrées sur les TIC restent rares. Les espaces publics
numériques ont par conséquent un rôle à jouer dans ce processus. Le fait qu’ils soient de plus en
plus nombreux à s’implanter dans les maisons de l’emploi, que certaines structures travaillent en
partenariat avec l’ANPE interroge sur les notions d’accompagnement ainsi que sur les activités
proposées au profit des usagers pour leur permettre de retrouver une place « reconnue » dans la
société.
Mais de quel type d’exclusion parlons-nous, de l’exclusion numérique ? de l’exclusion
sociale ? la notion d’exclusion est vague et difficile à définir tant elle prend des formes différentes
selon les époques et les sociétés. De plus, on peut se poser la question de savoir à partir de quel
moment une personne fait l’objet d’une exclusion... Nous sommes tous plus ou moins exclu d’un
groupe, d’un mode de vie, d’une pratique sociale, etc. En ce sens, la recherche porte un intérêt
particulier à identifier s’il existe des corrélations entre exclusion numérique et exclusion sociale et si
oui, de quelle nature. Pour identifier le public à observer dans les espaces publics numériques, j’ai
choisi de me centrer sur le concept de la « disqualification sociale » (Serge Paugam, 1991), qui
caractérise les processus de refoulement hors de la sphère productive de certaines populations.
A
travers des entretiens menés au milieu des années 80, Serge Paugam a catégorisé 3 types de
« disqualifiés sociaux » selon les relations qu’ils entretenaient avec les services d’action sociale : les
« fragiles », les « assistés » et les « marginaux ». Ces trois types de publics se retrouvent dans les
68% d’animateurs d’espaces publics numériques qui déclarent accueillir des demandeurs d’emploi
(enquête M@rsouin, mars 2008). A travers les enquêtes quantitatives et entretiens qualitatifs menés,
l’objectif est donc d’étudier les processus d’inclusion numérique et d’insertion sociale et
professionnelle à travers deux entrées. La première par le dispositif « Cybercommune », afin
d’observer comment s’intègrent les EPN dans les dispositifs « classiques » d’insertion et de
déterminer quelle(s) réponse(s) ils donnent en matière de lutte contre l’exclusion numérique et
sociale. La seconde entrée orientée « public » permettra d’identifier quelles relations entretiennent
les usagers avec les espaces publics numériques, en recueillant leurs motivations, en les interrogeant
sur les représentations qu’ils ont des TIC ainsi que sur leurs usages, mais aussi sur ce que la
fréquentation de l’espace peut générer en terme de lien social. Restaurer le lien social entre les individus serait aujourd’hui un rempart contre l’exclusion sociale, toujours selon Serge Paugam...
Une enquête quantitative a été menée entre novembre 2007 et mars 2008 auprès de 164 espaces
publics numériques qui m’a permis d’établir une cartographie des espaces mais aussi d’avoir un
panorama de l’état de l’accès public à l’Internet en Bretagne. De décembre 2008 à mars 2009, une
série de 29 entretiens auprès de publics répondant aux trois catégories de personnes du concept de la
« disqualification sociale » a été menée, dans des EPN de nature et de fonctionnement différents
afin de rendre compte de l’étendue du réseau et des pratiques émergentes. L’analyse des entretiens
est en cours, la soutenance de la thèse est prévue pour décembre 2009.