Ce projet comportait deux partie :
– d’abord une étude des conditions d’utilisation d’Internet en Bretagne : qui sont les internautes, qui sont les non-internautes, avec l’idée d’apporter un éclairage scientifique sur ce qu’on appelle « la fracture numérique » ;
– ensuite, et concernant les internautes, nous avons voulu nous intéresser à un type d’usage, sans doute le plus important en terme de développement économique : celui des sites Web, en réfléchissant à la façon de conserver l’attention d’un visiteur sur un site.
Sous-projet 1 : Les utilisateurs d’Internet en Bretagne.
Le nombre d’utilisateurs d’Internet a fortement augmenté en France ces deux dernières années. Selon Médiamétrie, 23 millions de français se seraient connectés à Internet au cours du mois de mars 2004 (soit une progression de 22% en un an et de 40% sur deux ans). Par ailleurs, l’ADSL connaît un très fort développement depuis 2002, dépassant les 3 millions d’abonnements fin 2003.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette accélération de la diffusion de l’Internet en France. Tout d’abord, la concurrence s’est intensifiée entre les fournisseurs d’accès Internet, conduisant à des baisses de prix substantielles notamment sur l’ADSL. Viennent ensuite s’ajouter des effets d’entraînement du côté des utilisateurs. La masse critique d’internautes français a été sans doute atteinte en 2001, ce qui a incité de nombreux français encore hésitants, à adopter massivement Internet en 2002 et 2003 pour bénéficier des effets de réseau liés à cette masse critique d’utilisateurs.
Les bretons ont bien évidemment pris part à ce mouvement : Internet s’est diffusé ces dernières années sur l’ensemble de la Bretagne. Néanmoins, cette diffusion s’est-elle faite de manière uniforme ? Quels sont les ménages qui sont le plus connectés à Internet et pour quels usages ? Existe-t-il une ou des fractures numériques en Bretagne et quelles formes prennent ces fractures ?
Ce sous-projet visait à répondre à ces différentes questions. Il propose d’une part de caractériser le plus finement possible le profil des internautes bretons et d’autre part d’identifier les contours de la fracture numérique en Bretagne. Pour cela, nous avons exploité l’enquête M@rsouin réalisée en décembre 2002 auprès de 2000 personnes, par téléphone.
L’intérêt de ce travail est de fournir aux pouvoirs publics un panorama précis de la diffusion d’Internet en Bretagne à la fin 2002, ainsi que des clés pour comprendre les facteurs stimulant ou freinant l’usage d’Internet. Cette connaissance peut s’avérer utile dans le ciblage des programmes d’action visant à la diffusion des TIC et de l’Internet.
Il comprend trois parties.
Une première partie fournit des éléments descriptifs sur l’enquête de décembre 2002 : quelle est la part de ménages bretons ayant un accès Internet à domicile ? Quels sont les usages des internautes bretons ?
Dans une seconde partie, nous procédons à une analyse plus fine pour isoler les déterminants de l’usage d’Internet et notamment de l’achat en ligne, en lien avec les objectifs de la seconde partie du projet. Car, certes, notre propos n’est pas de réduire l’usage d’Internet aux seuls usages marchands, mais il nous a semblé que ce type d’usage revêtait de forts enjeux économiques pour une région comme la Bretagne. En effet, si les pratiques d’achat en ligne commencent à se diffuser largement en Bretagne, cela stimulera nécessairement une offre régionale de sites de commerce électronique. Ces sites pourront ainsi s’appuyer sur la demande régionale pour couvrir leurs coûts de lancement (qui sont élevés et irrécupérables, d’où les hésitations des entreprises à s’engager dans le commerce électronique), avant de chercher à conquérir des clients plus lointains. Au contraire, si l’achat en ligne ne parvient pas à décoller en Bretagne, les entreprises bretonnes seront réticentes à se lancer dans le commerce électronique et la Bretagne risque de passer à côté de ce canal de distribution prometteur. Il est donc important de comprendre comment les ménages bretons appréhendent le commerce électronique et comment les pratiques d’achat en ligne se diffusent au sein de la population bretonne.
La troisième partie du rapport propose une analyse comparée des résultats de l’enquête M@RSOUIN avec une enquête Luxembourgeoise réalisée en juin 2002 auprès de 1554 personnes. L’intérêt de cette comparaison est de mettre en parallèle deux territoires européens assez différents (en termes de taille, de population, de localisation dans l’UE, de PIB par habitant et surtout de diffusion de l’Internet). Malgré ces différences, les déterminants de l’usage d’Internet en Bretagne sont-ils similaires à ceux observés au Luxembourg ?
Les principaux faits saillants sont les suivants :
– 47 % des ménages bretons étaient équipés d’un ordinateur (fixe ou portable) en décembre 2002 ;
– 29% des ménages bretons possédaient une connexion Internet à domicile. Parmi ces ménages internautes, seulement 13% disposaient d’une connexion haut débit ;
– des disparités géographiques importantes ont été relevées en matière d’équipement informatique et d’Internet en Bretagne. Ainsi, 51% des ménages urbains (ville ou périphérie) disposaient d’un ordinateur, contre 44% en zone rurale. De la même manière, le taux d’accès à Internet des ménages urbains était de 33% contre 23% pour les ménages ruraux ;
– le statut professionnel du chef de famille est aussi à l’origine de fortes disparités. Ainsi, un ménage breton dont le chef de famille est cadre ou profession intellectuelle supérieure dispose d’un accès Internet dans 66% des cas. Ce taux descend à 46% pour les professions intermédiaires et à 23% pour les ‘ouvriers’ ;
– en liaison avec le statut professionnel, le niveau d’éducation est source d’inégalités dans l’accès et l’utilisation d’Internet. Un breton ayant un diplôme supérieur à BAC+5 dispose d’un accès Internet à son domicile dans 63% des cas. En revanche, seulement 37% des bretons ayant le diplôme du BAC ont accès à Internet et 16 % pour les bretons ayant un niveau primaire ou sans diplôme ;
– l’âge du chef de ménage est aussi un facteur déterminant. Alors que 37% des ménages ayant un chef de famille entre 30 et 59 ans disposent d’un accès Internet, seuls 6% des ménages dont le chef de famille a plus de 65 ans sont connectés (par ailleurs seulement 11% des ménages retraités ont un accès Internet) ;
– le taux de connexion à Internet est d’autant plus élevé que la taille du ménage est importante (de 18% pour les célibataires, il culmine à 45% lorsque le ménage est constitué de cinq individus ou plus) ;
enfin, 29% des internautes bretons déclaraient avoir déjà effectué un achat sur Internet en décembre 2002.
Ces chiffres sont intéressants pour se faire une première idée de la diffusion d’Internet en Bretagne. Mais il est important de ne pas en rester là et de chercher à comprendre quels sont les facteurs pouvant déterminer le choix de s’abonner à Internet pour un ménage breton ou d’acheter en ligne. Pour cela, il existe des techniques statistiques permettant de bien isoler les variables qui peuvent jouer sur ce type décision et de quantifier leurs effets.
À l’aide de ces techniques, nous mettons en évidence que les facteurs qui déterminent l’existence d’une connexion à domicile sont très différents de ceux qui influencent l’achat sur Internet. Si les variables socio-économiques (âge, niveau d’étude, CSP, style de vie) jouent un rôle important sur la première décision, elles sont supplantées par l’expérience acquise sur Internet et par le voisinage social des individus (nombre d’amis du répondant ayant déjà acheté sur Internet) pour la seconde décision. Ainsi, un individu aura une probabilité beaucoup plus grande d’acheter sur Internet si une large partie de son entourage achète aussi en ligne. Cette idée que les choix individuels se font en interaction avec l’entourage ou le réseau social, se trouve confirmée en matière de commerce électronique. Ces résultats sur les ménages bretons sont largement confirmés par l’enquête luxembourgeoise.
Le tableau suivant propose une synthèse des principaux déterminants de l’adoption d’Internet et de l’achat en ligne (stimulants et freins) en Bretagne.
FACTEURS | Connexion Internet à domicile | Achat en ligne |
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Stimulants | Ménage avec enfants, chef de famille cadre ou profession intellectuelle supérieure, habitant en zone urbaine, au moins un membre de la famille utilise régulièrement Internet sur son lieu de travail, possession d’autres équipements TIC (téléphone portable, PDA, appareil photo numérique) | L’entourage de l’internaute achète aussi sur Internet, utilisateur expérimenté de l’informatique et d’Internet |
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Freins | Chef de famille ayant plus de 65 ans, chef de famille ouvrier, niveau d’étude inférieur au Bac, habitant en zone rurale | L’entourage n’achète pas sur Internet, cadre ou profession intellectuelle supérieure, internaute de moins de 20 ans |
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Neutre | Sexe, localisation de l’internaute, possession d’autres équipements TIC, qualité de la connexion Internet (haut débit ou bas débit) |
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L’enquête M@rsouin, à travers les différents traitements statistiques effectués, semble signaler l’existence d’un clivage ou d’une fracture numérique entre les ménages bretons dans l’accès à Internet (ménages urbains/ruraux, ménages CSP+/ouvriers, diplômés/non diplômés) mais aussi dans l’usage d’Internet (internautes expérimentés/non expérimentés, avec soutien social/sans soutien social). Que peut faire la Région Bretagne face à cette fracture ?
Quelle politique publique pour réduire la fracture numérique en Bretagne ?
Tout d’abord, le rapport fournit une première lecture optimiste de la fracture numérique, en insistant sur le caractère transitoire de la fracture sur l’accès. En effet, toute diffusion d’un service comme Internet passe nécessairement par une phase de démarrage se caractérisant par un clivage entre ceux qui ont déjà adopté et ceux qui n’ont pas encore adopté. La fracture entre les 30% de ménages bretons ayant un accès Internet et les 70% n’ayant pas d’accès est donc appelée à se résorber naturellement avec le temps. De ce point de vue, la fracture numérique est plutôt un indicateur de l’état d’avancement de la diffusion d’Internet dans un pays. Si l’on considère la diffusion d’Internet aux États-Unis, c’est largement le cas.
Les premières enquêtes américaines (dès 1994), avaient montré que les primo-adoptants étaient majoritairement de sexe masculin, entre 30 et 40 ans, d’un niveau d’étude élevé (l’équivalent BAC + 2/3 minimum), exerçant des activités professionnelles à fortes ‘responsabilités’. Mais, les études plus récentes ont permis de constater que la population des internautes était de plus en plus proche de l’ensemble de la population. Selon le dernier rapport réalisé par l’Université de Californie Los Angeles (UCLA Internet Report, 2003), la fracture numérique ne serait plus d’actualité dès lors que « 75% des américains utilisent Internet, qu’une vaste majorité des enfants ont Internet à l’école et que la moitié des actifs ont une connexion au bureau ». De même, plus de 60% des ménages américains ont un accès Internet à domicile.
On peut raisonnablement s’attendre dans quelques années à ces mêmes niveaux de diffusion d’Internet en Bretagne.
Dans ces conditions, est-il judicieux de lancer des actions publiques pour encourager une diffusion qui se fera de toutes les manières ?
Oui parce que la fracture numérique ne se réduit pas à un simple problème d’accès à Internet, mais soulève la question de la capacité à utiliser les TIC. Tout d’abord, il est important de noter qu’il subsiste encore aux États-Unis des inégalités dans l’accès à Internet, liées à l’âge, à la localisation et surtout aux revenus. Par exemple, il a été observé toujours aux USA un retard important dans l’adoption de l’Internet chez les communautés minoritaires, particulièrement les noirs américains.
Mais surtout, une intervention publique se justifie parce que la fracture numérique s’établit à deux niveaux : tout d’abord au niveau de l’accès (entre ceux qui ont un accès à Internet et ceux qui n’ont pas d’accès) et ensuite au niveau de l’usage d’Internet (entre ceux qui savent utiliser Internet et ceux qui ne savent pas). La fracture de second niveau est une fracture cognitive séparant ceux qui ont la « capacité à trouver de façon efficiente et effective des informations en ligne » et ceux qui ne l’ont pas, et a cinq causes principales :
- la qualité des équipements et des moyens d’accès des internautes (type d’ordinateur utilisé, de logiciel et connexion pour accéder à l’Internet),
- le degré d’autonomie dans l’utilisation d’Internet (les individus ont-il besoin systématiquement de l’aide d’une tierce personne ? Sont-ils limités en temps de navigation ?), les auteurs supposant que plus les internautes sont autonomes et non contraints et plus ils profitent des apports d’Internet [1],
- la motifs d’utilisation de l’Internet. Selon les objectifs que s’est fixé l’internaute, les bénéfices retirés de l’usage de l’Internet seront très inégaux,
- le niveau de compétence (d’un point de vue technique, mais aussi en terme d’aptitude à trouver et utiliser une information en ligne, à se servir d’un moteur de recherche, à régler les problèmes techniques soi-même ...)
- le réseau social d’assistance : un réseau social dense facilite l’usage de l’Internet, en permettant d’obtenir de l’aide de sa famille ou d’individus partageant des intérêts et des compétences très proches.
Notre travail a permis de confirmer l’importance des motifs 4 et 5 : des usages comme l’achat en ligne dépendent fortement de la compétence ou de l’expérience de l’Internaute, mais aussi de son voisinage social.
L’existence d’une double fracture nécessite donc une politique publique à double niveau : une politique visant à accompagner la réduction de la fracture sur l’accès à Internet et une politique visant à s’attaquer à la fracture sur la capacité à utiliser Internet.
La mise en place d’un cadre réglementaire favorable à la concurrence et aux investissements privés est sans aucun doute le meilleur moyen de réduire rapidement la fracture de premier niveau, les baisses de prix attendues d’une concurrence accrue dynamisant la diffusion d’Internet dans toutes les couches de la population. De ce point de vue, la Bretagne doit veiller à rendre son territoire attractif aux opérateurs privés, faciliter le développement d’offres concurrentielles, abaisser au maximum les barrières à l’entrée (par exemple ne pas favoriser un seul opérateur ...)
Mais, la région Bretagne ne peut pas se limiter à cette seule ligne politique. En effet, il faut aussi s’attaquer à la fracture de second niveau, qui elle, contrairement à la fracture de premier niveau, n’a pas de tendance naturelle à se réduire. Ainsi, la diffusion d’Internet peut laisser de côté certains groupes de population et les enfermer dans une trappe d’exclusion numérique de laquelle il est difficile de sortir. Cette exclusion de l’accès à Internet peut tenir à des raisons financières, mais aussi à une incapacité à savoir utiliser Internet. Cette dernière difficulté est renforcée par les effets de voisinage social et d’apprentissage. Les individus exclus d’Internet ont en effet souvent un réseau social pauvre, moins dense que le reste de la population, ce qui ne fait qu’accentuer leur exclusion. Ces individus, faute de connaître dans leur entourage des utilisateurs intensifs d’Internet, seront réticents à adopter Internet. Par ailleurs, plus un individu passe de temps sur Internet et plus il va améliorer ses compétences dans la recherche d’information, dans la navigation sur le Web. À l’inverse, un individu qui manque de compétences initiales pour bien se servir d’Internet, aura de fortes chances de se décourager et de se détourner d’Internet, ce qui le privera des effets d’apprentissage.
Dans ces conditions, une intervention publique semble nécessaire au niveau régional pour sortir ces individus de ces trappes d’exclusion : politique d’information et de formation ciblée sur les "populations exclues du numérique", manquant de compétences ou de soutien social pour pouvoir bien se servir d’Internet. Il s’agit là d’un vrai défi pour la Région Bretagne. Après avoir contribué avec succès à réduire la fracture de premier niveau sur l’accès grâce au programme Cybercommunes (offre publique d’accès à Internet), la Région Bretagne doit désormais développer un plan ambitieux d’actions qui s’attaque à la fracture de second niveau, une fracture qui contrairement à la fracture de premier niveau, a tendance à se renforcer avec le temps si on laisse faire.
Sous-projet 2 : marketing électronique : étude de l’influence des facteurs sociaux sur le comportement de l’internaute.
Objectif.
L’objectif principal des recherches que nous avons menées avec le soutien de la Région Bretagne a été d’étudier l’impact que pouvait susciter l’introduction de variables sociales lorsque l’on communique avec un individu sur internet. Individu représenté uniquement par son adresse mail.
L’originalité de nos travaux provient également de ce que l’évaluation de ces variables a été faite en situation réelle puisque les internautes étaient sollicités via leur adresse e-mail ou via un site construit pour l’occasion. Dans tous les cas, nous avons opté pour une démarche expérimentale afin de tester nos variables et n’avons pas eu recours ou peu au questionnaire d’intention ou à l’observation. De fait, nous nous sommes focalisés sur le comportement réellement produit par une individu laissé en toute autonomie dans son milieu habituel d’entrée et d’interaction via Internet.
Résultats obtenus et conclusion.
Afin de rendre lisibles les travaux menés en 2003 et au cours du 1er semestre 2004, nous présentons une synthèse des principales recherches en tenant compte de la spécificité de chaque variable étudiée.
Axe de recherche 1 : Techniques psycho-sociale d’influence sur Internet.
La compétence scientifique de certains chercheurs du laboratoire GRESICO et du CREM en matière de procédure d’influence du comportement en face-à-face nous a conduit à tenter de généraliser et à adapter ces procédures au monde bien particulier de la communication par ordinateur. A cet égard durant l’année 2003 et le premier semestre 2004, nous avons testé deux techniques d’influence qui, jusqu’à présent, n’ont jamais été adaptées et testées pour ce mode de communication.
La technique du pied dans la porte électronique.
Le « Pied-dans-la-Porte » est une technique d’influence qui consiste à proposer une 1ère requête peu coûteuse (appelée acte préparatoire) à une personne pour ensuite lui proposer une 2nde requête, plus coûteuse (appelée acte final). On observe ainsi, un taux d’acceptation à la 2nde requête plus élevé que celui obtenu dans une situation contrôle où cette requête n’est pas précédée d’une sollicitation initiale. Les recherches sur ce paradigme ont généralement utilisé une interaction en face-à-face ou par téléphone entre le solliciteur et la personne sollicitée. Le laboratoire GRESICO a été le premier à tester et à présenter une extension de cette technique au cas de la communication par ordinateur (mail) en montrant que même par simple courrier électronique, le fait de demander un petit quelque-chose à quelqu’un (un renseignement) via un mail, le prédisposait plus facilement à accéder à une sollicitation ultérieure plus coûteuse. Ce principe a été baptisé le « pied-dans-la-porte électronique » en référence à la technique initiale en face-à-face. Au cours de l’année 2003, nous avons tenté d’élargir cette technique à une autre situation d’interaction : la visite d’un site. Des internautes recevaient un mail leur demandant de visiter un site pour une œuvre humanitaire. _ L’objectif était ici d’obtenir des intentions de dons en faveur de l’œuvre. Pour la moitié d’entre-eux (situation de pied-dans-la-porte), lorsqu’ils y accédaient, le cheminement les conduisaient à passer par une pétition pour une bonne cause et qui ne réclamait que de mettre son nom, prénom et e-mail (acte préparatoire) puis, après cette validation, les internautes se retrouvaient face à la page invitant au don. Pour l’autre moitié des internautes (situation contrôle), il n’y avait pas de pétition sur le site et le cheminement conduisait à la page de dons. Afin de tester l’effet possible du pied-dans-la-porte, nous avons comparé le comportement des internautes selon l’un et l’autre site. Les résultats sont résumés ci-dessous :
Condition | expérimentale |
---|
Pied-dans-la-Porte | Contrôle |
Activation de la page de don | 12,1% | 3,3% |
---|
Activation du lien vers une association humanitaire pour effectuer le don : - par rapport au nombre total d’internautes testés - par rapport aux internautes ayant activé la page de don |
5,2% 44,2% |
1,3% 40,0% |
Ces résultats nous ont montré que le pied-dans-la-porte était transférable à une nouvelle situation de communication (ici Internet) et qu’il produit les mêmes effets d’influence. Outre l’intérêt théorique que cela présente, on mesure les enjeux appliqués de cette recherche. Nous travaillons depuis sur une tentative d’amélioration et de renforcement de cette technique.
La technique de la « porte dans le nez » électronique.
La technique de la porte dans le nez est également une technique d’influence qui consiste à demander quelque-chose d’exorbitant à une personne, qu’elle refusera de faire (requête préparatoire) pour ensuite lui demander quelque-chose de plus accessible (requête finale). Le fait de refuser la 1ère requête conduit généralement la personne à accepter plus favorablement la seconde comparativement à une situation où cette dernière est déclinée directement. Dans la littérature spécialisée, cette procédure a été appelée la Porte-dans-le-nez.
Nous avons tenté d’élargir son principe à une communication par ordinateur. Comme précédemment le site d’une organisation humanitaire a servi de prétexte pour tester l’effet de cette technique. Certains internautes en visitant le site se voyaient proposer d’aider l’association en s’impliquant un peu. En arrivant sur la page, il leur était formulée une requête exorbitante. S’occuper d’une partie de la gestion du site pendant 2 ans. Ils avaient le choix d’accepter ou de refuser, s’ils refusaient (ce qui a été systématiquement le cas), ils se retrouvaient alors sur la page de dons. En condition dite contrôle, les sujets arrivaient directement à la page de dons.
Ici, aussi nous avons testé l’efficacité de la technique en comparant les taux d’acceptation des demandes selon les 2 conditions manipulées.
Condition | expérimentale |
---|
Porte-dans-le-nez | Contrôle |
Activation de la page de don | 11,0% | 3,5% |
---|
Activation du lien vers une association humanitaire pour effectuer le don : - par rapport au nombre total d’internautes testés - par rapport aux internautes ayant activé la page de don |
5,5% 49,4% |
1,9% 55,2% |
Ici encore, nous avons pu montrer un transfert de cette technique dans un nouveau contexte de communication. Là encore, cette technique n’a jamais été étudiée dans ce cadre.
Conclusion.
Comme nous avons pu le voir, nos premiers travaux montrent que des techniques bien connues d’influence du comportement opèrent également en mode de communication médiatisée par ordinateur. Ces résultats ont une portée théorique importante car le mode de communication par ordinateur permet justement de concevoir la pertinence de certaines hypothèses théoriques expliquant, de manière générale, telle ou telle technique. En outre l’intérêt pratique est avéré afin de faire connaître un site, fidéliser, induire l’obtention de plus d’information, inciter des internautes à répondre à des questionnaires. Enfin, ces premiers résultats montrant le transfert de ces techniques via une modification de leur caractéristiques ouvrent des perspectives de transferts pour les nombreuses autres techniques d’influence. A terme, notre objectif est de tester chacune de ces techniques, en les adaptant, dans le cadre de la communication par ordinateur et par Internet.
Axe de recherche 2 : Internet et l’effet caméléon.
L’effet caméléon (traduction d’une expression anglo-saxonne Chameleon effect) est une théorie en marketing et psychologie de l’influence qui stipule que l’on accède plus favorablement aux sollicitations de quelqu’un si celui-ci, de manière réelle ou déguisé, nous donne l’impression d’avoir quelque-chose en commun avec nous. Ainsi, une personne qui semble partager des caractéristiques que nous possédons nous-mêmes sera plus favorablement perçue et ses requêtes seront plus favorablement acceptées. Afin de vérifier ce postulat, un certain nombre de recherches ont été conduites, par nos soins, dans le cas de la communication par Internet. Ici encore, le laboratoire GRESICO et le laboratoire CREM apparaissent être les premiers à avoir investi ce mode de communication dans le cadre de ce paradigme théorique.
Dans une première expérience, des étudiants d’une université recevaient un e-mail émanant d’une personne (un autre étudiant) qu’ils ne connaissaient pas et qui leur demandait de bien vouloir répondre à un questionnaire sur leur comportement alimentaire. Selon le cas, le prénom de cette personne était identique ou différent de celui du destinataire. La similarité/non similarité était donc manipulée par ce biais. Les résultats montreront que 72% des personnes ont accepté de répondre lorsque le demandeur avait le même prénom contre 44% lorsque le prénom était différent.
Dans une seconde expérience, on procédait de même mais, cette fois, la similarité du nom de famille était manipulé. Les résultats montreront que 96% des personnes répondront au questionnaire d’un solliciteur possédant le même nom de famille contre 52% dans un cas différent.
Partant de ces premiers résultats montrant un effet de la similarité/dissimilarité de l’information identitaire sur Internet, nous avons conduit une troisième expérience dans laquelle des internautes étaient sollicités par un inconnu afin de visiter un site pour une organisation humanitaire permettant de faire des dons. Selon le cas, l’émetteur du e-mail possédait le même prénom que son destinataire ou possédait un prénom différent.
Condition | expérimentale |
---|
Même prénom | Prénom différent |
Activation de la page de don | 21,7% | 4,3% |
---|
Activation du lien vers une association humanitaire pour effectuer le don : - par rapport au nombre total d’internautes testés - par rapport aux internautes ayant activé la page de don |
8,4% 38,8% |
1,9% 42,9% |
Les résultats montrent qu’il y a 4 fois plus d’internautes à visiter le site en situation de similarité du prénom qu’en cas de dissociation. De fait, cela a un effet direct sur le nombre de personnes ayant eu l’intention de faire un don.
Dans une quatrième expérience que nous menons actuellement, des personnes sont amenées à interagir, par le biais du e-mail, avec des techniciens qui leur expédient des conseils techniques afin de leur permettre de réaliser une opération de sauvegarde de certains de leurs fichiers. Bien entendu, une telle situation permettait de manipuler la similiarité/dissimilarité entre émetteur et récepteur du mail. Aussi, selon le cas, le prénom du technicien était identique ou différent de celui du récepteur. Cette situation de maintenance par courrier était volontairement fictive afin de bien contrôler les variables. La réponse contenait suffisamment d’informations pour que le sujet parvienne à effectuer la procédure, mais imposait une certaine implication de sa part : tout n’était pas détaillé pas à pas. Après que le sujet soit parvenu, ou pas, à réaliser la tâche, on lui demandait d’évaluer la qualité des conseils du technicien (précision, facilité à mettre en œuvre,...) et d’imaginer ses caractéristiques de personnalité (sympathie, compétence...). Les résultats montreront que les évaluations ont été plus positives dans le cas de la similarité des prénoms et, plus particulièrement, lorsque les sujets ne sont pas parvenus à réaliser la procédure.
Conclusion.
Les résultats de ces expérimentations montrent que la création d’une similarité sur Internet a des effets positifs sur le comportement de l’internaute. Celui-ci consent plus volontiers à visiter un site ou à répondre à un questionnaire en ligne. De fait, de tels résultats ouvrent une large spectre d’étude sur l’effet de la similarité et on peut voir les applications pratiques en marketing one-to-one on-line.
Axe de recherche 3 : L’introduction de variables sociales dans la communication médiatisée par ordinateur.
L’objectif de cet axe était de travailler sur un postulat théorique largement partagé par les experts du marketing on-line et pour lesquels,pour influencer le comportementdequelqu’undans un monde virtuel comme Internet, il convient de pouvoir réintroduire, sous une forme adaptée, l’information sociale que connaît et maîtrise l’individu. Or, force est de constater que cette information sociale est pauvre.
Afin de tester cette hypothèse nous avons conduit un certain nombre d’expériences destinées à mesurer l’effet d’une variable sociale : ici la représentation photographique de l’interlocuteur.
Dans une première expérience, nous avons cherché à étudier l’impact de la simple présence d’une photographie numérique d’une personne sollicitant par mail des étudiants qui accepteraient de répondre à un questionnaire sur leur comportement alimentaire. Cette photographie était jointe avec l’étiquette de présentation en bas du mail. Les taux de répondants sont présentés dans le tableau ci-dessous :
Photographie | Pas de photographie | |||
---|---|---|---|---|
Homme expéditeur | Femme expéditrice | Homme expéditeur | Femme expéditrice | |
Destinataire-homme | 80,0% | 100,0% | 55,0% | 75,0% |
Destinataire-femme | 70,0% | 85,0% | 40,0% | 60,0% |
Les résultats ont montré que la simple adjonction d’une photographie a un impact positif sur le nombre de répondants. En fournissant des informations de nature sociale au destinataire, on apporte la preuve que celui-ci se montre plus enclin à répondre aux sollicitations de l’expéditeur.
Dans une autre série d’expériences, le principe de cette recherche initiale a été étendue et nous avons tenté d’étudier l’impact de la photographie, dans le cadre d’une relation par mail auprès de cibles plus variées. On observe également un effet positif de la photographie. Même si les taux de sondages n’atteignent pas ceux présentés par les étudiants, la différence entres les deux conditions est proportionnellement plus importante. En outre, on montre que le taux de réponse est d’autant plus important que l’attrait physique de la personne sur la photographie est renforcé.
Dans une troisième expérience, conduite récemment, des personnes étaient amenées à interagir, par le biais du e-mail, avec des techniciens qui leur expédiaient des conseils techniques afin de leur permettre de réaliser une opération de sauvegarde de certains de leur fichier. Les sujets avaient le choix, entre différents interlocuteurs présentés par une fiche sur laquelle apparaissait, ou pas, la photographie de la personne. Des informations concernant leurs compétences étaient incluses afin de diriger le demandeur. Bien entendu, ces informations variaient systématiquement selon les sujets afin de ne tester que l’effet de la photographie toute chose étant égale par ailleurs. La réponse contenait suffisamment d’informations pour que le sujet parvienne à effectuer la procédure, mais imposait une certaine implication de sa part : tout n’était pas détaillé pas à pas. Après que le sujet soit parvenu , ou pas, à réaliser la tâche, on lui demandait d’évaluer la qualité des conseils du technicien (précision, facilité à mettre en œuvre,...) et d’imaginer ses caractéristiques de personnalité (sympathie, compétence...). Les résultats montreront que, dans 93 % des cas, ce sont les fiches présentant une photographie qui ont été sélectionnées. En outre, pour de mêmes conseils dispensées, les évaluations des conseils techniques et de la personne ont été plus positives lorsque la photographie était présente.
Conclusion.
Les résultats de ces expérimentations montrent que lorsque l’on rend la relation par mail ou Internet moins anonyme notamment en livrant plus d’informations sur l’expéditeur, cela conduit à induire la production d’un comportement plus favorable envers la personne.
Perspectives ultérieures.
Dans le cadre de l’étude sur les internautes bretons, le CREM a engagé une collaboration avec le CEPS, un institut d’étude et de recherche luxembourgeois sur les ménages et les entreprises. Deux chercheurs du CREM ont séjourné un mois au CEPS en janvier 2004 dans le cadre d’un programme européen IRISS. Cette collaboration nous a permis d’obtenir des données sur les ménages luxembourgeois équivalentes à celle de M@rsouin et de procéder à des analyses comparées au niveau européen sur les usages de l’Internet. Ce partenariat est appelé à se renforcer, puisqu’il est envisagé de renouveler des séjours de chercheurs et de doctorants du CREM au CEPS en 2004 et 2005. L’intérêt de cette collaboration avec le CEPS est ainsi de renforcer l’insertion des équipes bretonnes dans les réseaux européens et à terme de pouvoir monter des projets européens dans lesquels M@rsouin pourrait occuper une rôle moteur.
Les résultats des trois axes de recherche sur le comportement des internautes ont montré que l’introduction de variables sociables via Internet permettait d’affecter réellement ce comportement et les évaluation des personnes avec lesquelles il interagit. De fait, ces résultats permettent de penser que cet axe peut être largement développé à l’avenir en raison du fait que les facteurs introduits dans les mails ou les sites Internet utilisés précédemment, ne représentent qu’une infime partie de ceux que nous pouvons étudier. En effet, le fait que ces variables influencent réellement le comportement de l’internaute ouvre des perspectives de recherche sur l’évaluation de variables déjà connues dans d’autres contextes, mais aussi, plus intéressant, de variables qu’il importe de créer à présent. L’objectif du laboratoire sera donc pour les mois et années à venir de maintenir cet effort de recherche et d’innovation des facteurs sociaux qui influencent le comportement de l’internaute. D’un point de vue appliqué, la multiplication de ces travaux permettra de fournir aux industriels du secteur, des suggestions de développement, de présentation, de sollicitation .... afin d’accroître la visibilité de leur activité et donc ainsi pourvoir, potentiellement, augmenter le nombre de leurs clients, les fidéliser, améliorer la perception que les clients se font de l’entreprise ou du personnel de celle-ci...