La première phase de l’évaluation de la politique des Cybercommunes a consisté à faire un état des lieux des espaces, via un questionnaire envoyé aux animateurs, questionnaire complété par une enquêtes qualitative dans quelques espaces.
Ces travaux ne font pas apparaître une réduction de la fracture numérique entre populations familiarisées aux NTIC et à Internet, qui sont aussi utilisatrices des points cybercommunes, et celles réfractaires qui n’ont aucune incitation à fréquenter ces espaces. Pour changer cela, le soutien d’une personne ressource apparaît nécessaire, pour organiser des séances de formation de bas niveau, mais aussi pour détecter les usages que ces personnes pourraient avoir de l’outil informatique.
Trois types d’espace émergent : d’un côté des espaces s’adressant à une large population, bien dotés en terme d’équipement et de qualité des prestations, ayant un accès au haut débit, dont la pérennité est souvent assurée ; de l’autre des "petits" espaces peu attractifs, équipés a minima et ne concernent que peu de personnes. Entre les deux, les espaces "moyens" au sens où ils s’adressent à une population de taille moyenne, avec une fréquentation moyenne.
Deux études spécifiques ont été menées en parallèle dans cette première phase : une enquête statistique à partir des réponses des animateurs et une enquête qualitative auprès d’espaces cybercommunes du Trégor.
L’enquête quantitative.
Les résultats statistiques extraits de l’analyse du questionnaire envoyé aux animateurs mettent en avant quatre types de résultats.
- L’analyse géographique des espaces a déterminé que :
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- peu de différences existent entre les quatre départements bretons ;
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- la taille de la commune intervient peu dans son engagement dans le programme ;
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- le territoire régional est globalement bien couvert : l’objectif de mettre tous les Bretons à moins de 20 km d’un espace est rempli. Mais il reste des zones faiblement équipées, principalement en zone rurale.
- L’étude des "ressources" affectées à l’espace prend en compte le matériel, l’espace et les compétences. On constate que :
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- le nombre d’ordinateurs mis à disposition est faible (4,6 en moyenne) ;
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- la configuration du réseau est très souvent faite a minima et ne permet pas des usages avancés de l’informatique (hébergement de site, création de comptes pour les utilisateurs...) ;
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- l’accès à Internet se fait à faible débit (RNIS), limitant les possibilités de services offerts par l’espace et augmentant le coût d’accès à Internet. Cela est dû à la faible couverture territoriale des offres à haut débit ;
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- le renouvellement du matériel ne se fait pas, les communes ne réinvestissant pas dans les nouveaux matériels informatiques (appareil photo, lecteur de DVD), ce qui diminue leur attractivité dans le temps.
Deux types d’espaces apparaissent : ceux à large plage d’ouverture (fin de semaine, soirée) qui s’adressent à une population d’actifs, et ceux exclusivement tournés vers les inactifs, souvent jeunes, (ouverture en journée pendant la semaine), réduisant d’autant moins l’inégalité d’accès à ces nouvelles technologies.
D’autre part, l’animateur, d’abord par capacité à animer des groupes, ensuite par ses connaissances des outils technologiques, a un impact important sur la fréquentation et surtout sur le développement d’activités de haut niveau qui pérennise cette fréquentation, au-delà de la découverte d’Internet. Sa dispersion sur des espaces multi-sites et son faible niveau de formation en animation sont deux facteurs clefs d’échec des espaces.
Notons, pour finir, que l’offre d’accès à Internet est très chère, notamment à cause des technologies d’accès : seuls 48 % des espaces proposent un accès à moins d’un euro de l’heure, quand la recommandation de la Région est de ne pas dépasser les 70c.
- Le questionnaire a également permis d’identifier le degré d’accessibilité des cybercommunes et d’aborder les préférences des utilisateurs :
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- les espaces sont d’abord des lieux de consommation d’activités multimédia "simples" : navigation sur Internet, bureautique, jeu ;
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- seule la moitié des espaces peut être considérée comme fonctionnant correctement (plus de 80% de temps où, l’espace étant ouvert, il y a au moins un animateur) ;
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- 45% des espaces ayant répondu (37 sur 83) ont perdu des utilisateurs en un an ;
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- les autres éléments d’impact des espaces (composante de l’offre d’équipement touristique et lieu de compétence pour le tissu socio-économique) sont faibles, même s’ils existent.
- Les actions de formation engagées ne contribuent pas nécessairement à améliorer et pérenniser l’offre. Cela est dû à la réticence de certaines communes à libérer l’animateur pour se former ou pour développer des actions collectives. Plusieurs communes ne s’investissent pas dans la pérennisation de l’espace : il n’y a pas de réflexion sur le devenir de l’emploi jeune animateur, pas de renouvellement de matériel et peu d’initiative pour trouver des financements pour l’espace (en recherchant des labels nationaux).
L’enquête qualitative.
L’analyse qualitative a livré six monographies sur des cybercommunes trégoroises. Quatre tendances (scénarios) apparaissent :
– Premier scénario : la mairie se dote d’un informaticien à faible coût.
Cette municipalité n’a pas les moyens d’équiper les postes en nombre suffisant et ne dispose pas d’agent de maintenance. L’animateur, recruté avec un DUT en informatique, n’assure que vingt heures de permanence par mois. Après avoir suivi quelques heures de formation à la bureautique, les utilisateurs désertent le centre où ils ne trouvent ni animateur disponible ni matériel performant. D’une façon générale, les publics peu sensibilisés aux TIC ignorent l’existence de ce cyberespace, bien que celui-ci ait été implanté dans les locaux de la mairie.
– Deuxième scénario : un groupe d’individus monopolise le dispositif.
Dans cette commune, l’initiative de la création d’un cyberespace revient à un jeune informaticien au chômage. Il s’ouvre de son projet à un ami siégeant au conseil municipal. Elu, ce dernier obtient une dotation et un label Cybercommune. L’informaticien va mettre en place des initiations basiques à l’informatique en proposant des prestations de formation privée qui permettent d’approfondir les savoir-faire initiaux. Durant le temps qu’il passe dans ce centre désert, il utilise les ressources mises en place par la mairie pour construire plusieurs sites. Il se constitue ainsi une vitrine en ligne pour des prestations qu’il propose dans le cadre de son activité professionnelle.
– Troisième scénario : la cybercommune comme projet politique.
Sans être économiquement favorisée, cette commune rurale bénéficie du dynamisme de plusieurs associations dont les membres essaient de favoriser des pratiques collectives. Plusieurs associations négocient le partage de cette ressource publique pour permettre à leurs adhérents de développer leurs activités. La commune utilise son label Cybercommune pour sa communication et elle procède à des investissements significatifs pour pérenniser ce fonctionnement. Elle refuse de mutualiser ses moyens, afin de garder sa spécificité locale vis-à-vis de ses voisines. La mairie s’engage à recruter l’animateur de façon permanente à l’issue de son emploi jeune.
– Quatrième scénario : la cybercommune concrétise la complémentarité entre les communes formant un pays.
Le projet Cybercommune accompagne étroitement la mise en place d’une nouvelle entité territoriale : le pays. Les différents points d’accès mis en place par les collectivités locales formant le pays se spécialisent dans leurs offres de services en fonction des attentes de la population. Les animateurs, recrutés en CDI, s’intègrent dans le tissu local et permettent l’émergence de projets collectifs et individuels. Des espaces d’accès mobiles sont mis en place pour faciliter l’appropriation des TIC dans les zones situées en périphérie. Une importante politique de communication est mise en place à destination de la population locale pour créer un sentiment d’appartenance et renforcer la cohésion du territoire.
L’étude a également permis d’identifier les facteurs facilitant ou freinant l’essor des cybercommunes.
– Les structures administratives d’accueil.
Une distance trop importante entre initiateurs du projet et animateurs pénalise la cybercommune. Par contre l’espace fonctionne bien lorsque le point est développé par une association ou une structure municipale dynamique.
– Les initiateurs du projet.
Une cybercommune est active lorsque les initiateurs sont inscrits dans des réseaux associatifs ou autres. Ils doivent suivre régulièrement le travail des emplois jeunes et des bénévoles pour coordonner leurs actions. Une politique salariale volontariste, avec une rémunération supérieure au SMIC, permet de fidéliser l’emploi jeune. Une réflexion sur le développement du projet doit être faite au-delà de la seule initiation.
– Les animateurs.
Leurs compétences à la fois en informatique et en animation permettent de rendre plus attractive la cybercommune. Ils apportent une aide technique de qualité aux porteurs de projet et savent accueillir les non-utilisateurs en se mettant à leur portée. La présence de bénévoles permet de renforcer le travail des animateurs, en offrant une plus grande disponibilité et de nouvelles compétences, mais ils ne doivent pas être les seuls animateurs du point cybercommune. Un nombre d’animateurs parfois trop limité par rapport au nombre d’ordinateurs les rend incapables de répondre à toutes les demandes.
– Les moyens matériels.
Le matériel doit être régulièrement mis à jour. Une connexion à Internet à bas débit limite l’offre de services. Un nombre suffisant de postes permet d’éviter les files d’attente et de développer des activités collectives. Des périphériques multimédia (caméra, appareil photo numérique, numérisation de sons et d’images vidéo...) augmentent l’offre de services.
– Les services proposés.
Des horaires d’ouverture larges, en dehors des heures de bureau, permettent de rendre la cybercommune attractive. Les animateurs doivent se mettre au service de projets d’usagers. Les cycles d’initiation à l’informatique sont organisés à destination du grand public mais aussi des associations et des commerçants (création de sites Internet, d’affiches publicitaires). La spécialisation envahissante des jeunes publics qui utilisent en permanence le point cybercommune pour le jeu rend impossible l’utilisation du matériel à d’autres fins.
– Les projets des initiateurs ou animateurs.
L’usage des technologies numériques permet d’accéder à un niveau de qualité supérieure. L’ouverture de nouveaux espaces publics d’accès à Internet dans des lieux fréquentés par les publics peu attirés par l’informatique.
– Les projets des utilisateurs.
Une cybercommune fonctionne lorsque les utilisateurs ne recherchent pas uniquement un accès à Internet pour la consultation d’e-mail. Il s’agit également d’un espace de diffusion et de confrontation des productions de l’utilisateur.
– Les conditions économiques.
Un coût d’accès trop élevé peut potentiellement exclure une partie de la population. Tandis qu’un accès gratuit, en entraînant une forte demande, a pour conséquence de rendre difficile le travail d’encadrement. Les coûts d’utilisation peuvent être modulés : faibles pour de petits utilisateurs ou des apprenants, ils deviennent plus importants pour de gros consommateurs. Les formations peuvent être facturées à des coûts sensiblement équivalents à ceux des marchés de la formation, mais offrent des formes de modulations selon les publics.
Conclusion : la suite du programme.
Les résultats de la phase une permettent de répondre en partie seulement à la demande d’évaluation : typologie des espaces efficaces, facteurs de réussite ou d’échec, impacts de la politique.
Dans la phase deux, nous avons établi un protocole d’évaluation complet, englobant les effets induits par la mise en place de ce programme en Bretagne.
Plus particulièrement, nous avons mené trois études :
– une analyse coût-bénéfice du programme cybercommune du point de vue de la Région et des collectivités locales ;
– une évaluation contingente (mesure de la disposition à payer de la population pour un accès à Internet à partir des cybercommunes plutôt qu’ à domicile ou dans les cybercafés) afin de mettre en avant le comportement des usagers ;
– un focus sur les acteurs intégrés dans le dispositif et comment ils tirent parti des moyens qui leur sont attribués, sur la formation des usages, sur l’information et notamment l’information locale.
Contacts : Myriam le Goff-Pronost (myriam.legoff@enst-bretagne.fr, 0 229 001 461) ou Daniel Thierry (Daniel.Thierry@univ-rennes1.fr, 0 296 485 781)