Réseaux / Contenus : une convergence juridiquement encadrée ? Session 8 " TIC et Marché " du séminaire M@rsouin

, par Stanislas Frécher

Le développement des offres multiplay (plus de 10,5 millions de « box » en France),

et le succès rencontré par les services d’IPTV (plus de 4,9 millions de français

abonnés à la télévision par ADSL) ont profondément modifié le marché de la

télévision. Les fournisseurs d’accès à l’Internet (FAI) y jouent désormais un rôle de

premier plan. Ainsi, selon l’ARCEP, « en flux, grâce à une couverture supérieure à

45% de la population, l’ADSL constitue le principal vecteur de croissance de la

télévision payante ».

Cette redistribution des rôles a également eu pour conséquence de rapprocher deux

marchés pourtant nettement séparés pendant de nombreuses années : le marché

des télécommunications et celui de l’audiovisuel. Ces deux marchés, bien que

convergents, répondent pourtant à des logiques très différentes. Paul Champsaur

soulignait ainsi en septembre 2008 : « d’un côté, les réseaux de télécommunications

fonctionnent traditionnellement sur la base d’interopérabilité, tout abonné à un

opérateur ayant accès à tout autre abonné d’un autre opérateur et à tout service

offert ; de l’autre côté, au moins au stade initial de la création, ce sont les contrats

d’exclusivité qui prédominent ».

Le processus de convergence entamé entre les deux marchés risque de s’accélérer

dans les années à venir avec l’arrivée à maturité du marché de l’ADSL. Pour élargir

leur base d’abonnés les opérateurs de réseau ne peuvent plus se reposer sur les

seuls tuyaux, ils doivent développer de nouveaux services susceptibles d’attirer les

abonnés des opérateurs concurrents. Or, le fait que 42% des clients Orange

considère la télévision comme le vecteur d’abonnement principal explique les luttes

récentes pour l’acquisition de contenus, si possible en diffusion exclusive, afin de

construire une offre attractive et surtout différenciée.

Au milieu d’une profusion de chaînes, la diffusion exclusive de contenus permet en

effet aux opérateurs du marché de se différencier. Les nombreuses batailles pour

l’exclusivité concernent les contenus qui ont une substituabilité très faible, et qui

constituent donc un gage d’adhésion d’une partie de la population. Les

professionnels parlent de contenus premium, de must have. Il s’agit par exemple des

derniers films à succès (blockbusters), des séries télévisées les plus annoncées, ou

encore des grandes manifestations sportives.

Il est nécessaire de préciser qu’il existe deux principaux types d’exclusivité en

matière de télévision payante. Le premier type est négociable sur le marché de

l’acquisition des droits (entre les ayants droits et les éditeurs de chaînes), tandis que

le second est négociable sur le marché de la distribution des chaînes (entre les

éditeurs et les distributeurs de celles-ci). C’est le second type d’exclusivité qui peut

entrainer des abus et constituer un frein à la logique d’interopérabilité propre au

secteur des télécoms.

Ainsi, la négociation d’exclusivité par les opérateurs de réseaux n’est pas sans poser

de problème. Ce type d’exclusivité fait débat aujourd’hui avec l’arrivée des FAI sur le

marché des contenus : désormais les acteurs qui fournissent des services de

télévision sont aussi ceux qui fournissent l’accès à internet. C’est à dire que celui qui

édite des contenus fournit également l’accès à ses contenus. Le distributeur est donc

aussi le transporteur, et les exclusivités négociées sont à la fois des exclusivités de

distribution mais également des exclusivités de transport. Comme le souligne

justement Thierry Dahan, rapporteur général du Conseil de la Concurrence, « les

problèmes apparaissent lorsque l’exclusivité descend jusqu’à l’étage du transport

(...). C’est le trop fameux « effet de levier » qui permet de gagner des clients, non

pas sur ses mérites propres mais grâce au pouvoir tiré d’une situation de monopole

sur un bien connexe ou lié ».

Le risque de voir émerger des systèmes de vente liée inquiète actuellement les

acteurs du marché et les consommateurs. Cette inquiétude s’exprime

particulièrement s’agissant des pratiques d’Orange. Afin de différencier son offre et

de la rendre la moins substituable possible, la filiale de France Telecom ne se

contente plus de distribuer des offres TV existantes : désormais elle se positionne

comme un acteur majeur du marché des contenus puisqu’en quelques mois elle a

acquis en première exclusivité des droits sur des contenus premium.

Le problème

réside dans le fait que l’opérateur historique refuse de mettre à disposition des

opérateurs concurrents les chaînes qu’il édite avec ces mêmes contenus (« Orange

Sport », « Orange Cinéma Séries »), alors qu’à l’inverse les programmes de Canal+

sont distribués le plus largement possible, indépendamment de la plateforme de

diffusion.

La stratégie d’Orange, très critiquée, est au coeur d’un conflit juridique, commercial et

médiatique opposant l’opérateur historique à ses principaux concurrents. La question

qui fait débat est la suivante : un fournisseur d’accès à l’Internet peut-il réserver à

ses seuls abonnés les contenus pour lesquels il possède des droits de diffusion

exclusive ? Si Canal +, SFR ou encore Free répondent par la négative, les autorités

de régulation (ARCEP, CSA) semblent avoir des positions différentes sur le sujet, ce

qui créé un certain climat d’insécurité pour les acteurs du marché (Orange a ainsi

provisoirement gelé toutes ses acquisitions de contenus, ainsi que la distribution de

sa chaîne « Orange Sport »).

Dans l’attente d’une solution clairement établie par l’Autorité de la concurrence, nous

proposons de présenter les premiers éléments de réponse à un conflit dont l’issue

sera déterminante pour l’avenir de la production, de l’acquisition et de la diffusion des

contenus.

Il s’agira ainsi, dans un premier temps, d’exposer la stratégie

d’autodistribution exclusive mise en place par l’opérateur historique, ses fondements

mais également ses conséquences positives et négatives ; puis d’apporter, dans un

second temps, un éclairage juridique sur la détention, par un « transporteur »,

d’exclusivités de diffusion, notamment au regard des solutions retenues ces derniers

mois par la jurisprudence (AFORST c. France Télécom, Cons.Conc 7/05/08 ; Free et

Neuf c. France Télécom, Trib. Com. 23/02/09). Cette approche permettra de révéler

le rôle déterminant qu’est amené à jouer le droit dans la définition des bases du

« nouveau » marché de la diffusion.